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domenica, febbraio 01, 2015

Yves Coleman Sur les sources de l’antisémitisme de gauche, anticapitaliste et/ou anti-impérialiste

Y.C., Ni patrie ni frontières, 26 avril 2014
Sur les sources de l’antisémitisme de gauche, anticapitaliste et/ou anti-impérialiste

« Et puis, on peut être contre la politique internationale d’Israël sans être antisémite. »
(David Rachline, maire Front national de Fréjus)

La première révision douloureuse qu’il faut opérer, si l’on veut vraiment sortir des ambiguïtés de l’antisionisme de gauche actuel, c’est qu’il existe une vieille tradition antisémite anticapitaliste et/ou anti-impérialiste particulièrement vivace à gauche et à l’extrême gauche, en Europe, mais aussi ailleurs.
A ma connaissance, seuls deux groupes, aux origines politiques très différentes, se sont démarqué publiquement des ambiguïtés des milieux gauchistes et altermondialistes à ce propos : l’AWL en Grande-Bretagne (un groupe trotskyste) et Doorbraak (ex-De Fabel van de illegaal) aux Pays-Bas, organisation « communiste libertaire ». Je pourrais mentionner les Anti-Deutsch en Allemagne, qui viennent au départ du maoïsme et de l’autonomie, mais leurs positions actuelles ne peuvent être qualifiées d’extrême gauche, ni même de gauche, tant elles sont devenues synonymes de défense fanatique des politiques américaines et israéliennes... au nom d’une condamnation radicale du nationalisme allemand .
Aucun des groupes libertaires ou d’extrême gauche français ne s’est posé la question de l’antisémitisme de gauche et n’a essayé de le combattre sérieusement dans ses propres rangs. A lui seul, le silence sur Dieudonné dans ces milieux depuis dix ans est éloquent (et ce ne sont pas les défenseurs libertaires de la « liberté d’expression » de Dieudonné face aux mesurettes répressives de Valls qui pourraient nous inciter à croire à une quelconque prise de conscience ou autocritique de leur lâcheté passée).
Mais on pourrait aussi citer les innombrables fois où des sites et des auteurs conspirationnistes et antisémites sont cités comme références par des militants gauchistes dans leurs échanges sur Internet, quand ils ne figurent pas comme liens réguliers de revues, d’organisations ou de sites alternatifs dits « radicaux ».
Cette indifférence – voire cette attitude « carrément » je-m’en-foutiste – ne peut que les rendre particulièrement vulnérables et suspects face aux critiques de journalistes pressés, d’historiens peu scrupuleux mais aussi de personnes de bonne foi n’ayant pas des œillères « antisionistes » et donc qui ne sont pas obsédés par Israël et la Palestine du matin au soir.
Les groupes gauchistes ou libertaires, en France comme ailleurs, nient généralement ce phénomène ou bien le réduisent aux délires de quelques individus aigris et isolés, de quelques (ex) ultragauches décérébrés passés à l’extrême droite, ou surtout aux calomnies des « sionistes » pour faire taire toute critique contre Israël.
Entreprendre une telle réflexion sur l’antisémitisme de gauche actuel suppose déjà de bien connaître les mécanismes traditionnels de l’antijudaïsme chrétien et musulman et de l’antisémitisme racial, quelle a été leur évolution et quels sont leurs nouveaux déguisements et mutations. Si l’on pense que l’antisémitisme est un phénomène en voie de disparition, si on le réduit à l’antijudaïsme chrétien du Moyen Age ou aux théories raciales nazies, et si l’on croit que seul sévit aujourd’hui « l’islamophobie », nul besoin de s’y intéresser. Mieux (ou plutôt pire), toute personne qui soulève le sujet est forcément un flic, un sioniste, un néo-conservateur ou un paranoïaque anticonspirationniste...
Pour expliquer cet antisémitisme de gauche, à tonalité anti-impérialiste et/ou anticapitaliste, on peut distinguer plusieurs facteurs présentés ici de façon succincte, mais qu’il faudrait évidemment développer beaucoup plus longuement :
1. L’incapacité des marxistes et des anarchistes à définir une position matérialiste opératoire sur ce qu’il est convenu d’appeler la question juive comme d’ailleurs sur d’autres questions nationales, religieuses ou culturelles.
Pour les courants marxistes, au moins, cette attitude était compréhensible au XIXe siècle et même jusqu’à la révolution d’Octobre, en raison de l’imminence proclamée de l’effondrement du capitalisme, effondrement qui laisserait la place au socialisme censé résoudre tous les problèmes « secondaires » (racisme, antisémitisme, nationalisme, domination des femmes, etc.) légués par le « vieux monde ».
Rappelons à tous les « antisionistes » qui se réclament de penseurs marxistes actuels (Daniel Bensaïd, Jean-Jacques Marie, Enzo Traverso) et qui osent se réclamer du Bund, que ce courant fut violemment dénoncé par Plekhanov (il les qualifiait de « sionistes qui ont le mal de mer ») et par Lénine (dans ses Notes critiques sur la question nationale écrites en 1913 il évoque « la nation la plus opprimée et la plus traquée, la nation juive » mais écrit ensuite « Quiconque proclame directement ou indirectement le mot d’ordre de la “ culture nationale ” juive est (si excellentes que puissent être ses intentions) un ennemi du prolétariat, un partisan des éléments anciens et frappés d’un caractère de caste de la société juive, un complice des rabbins et des bourgeois » ; bref Vladimir Ilitch était lui aussi atteint par le « mal de mer » quand il évoquait la question juive et ne savait pas par quel bout la prendre...). Signalons enfin que le Bund fut réprimé par l’Etat soviétique dès 1919 (donc par Lénine et Trotsky au pouvoir, pas par Staline) et obligé de se dissoudre en mars 1920.
Aujourd’hui, après la création de dizaines d’Etats-nations, la victoire des idéologies nationalistes aussi bien dans les pays du tiers monde (des guérillas victorieuses – Chine, Cuba, Algérie, Vietnam, Mozambique, Angola, etc. – aux régimes populistes latino-américains actuels) que dans les pays occidentaux (influence prédominante de l’esprit interclassiste des Résistances dites « antifascistes », bourgeoises et staliniennes en Europe dans les années 1950/1960, puis émergence de régionalismes à tonalité indépendantiste au Pays basque, en Ecosse, etc.), une telle indifférence face à la question juive (couplée généralement à un opportunisme vis-à-vis d’autres nationalismes ou régionalismes) n’est plus tenable sans un bilan politique approfondi et une mise à jour sérieuse.
Et c’est justement parce que cette indifférence n’est plus tenable que les principes internationalistes traditionnels défendus – en théorie – par les groupes gauchistes ou libertaires sont d’autant plus facilement vidés de leur contenu prolétarien, anational, originel. Que l’on est passé du soutien du combat commun des prolétaires israéliens et arabes, jusqu’à la fin des années 60, au soutien acritique au Hamas ou au FPLP, en passant à la trappe toute référence à la classe ouvrière israélienne ou même aux classes ouvrières arabes. L’opposition de principe au nationalisme bourgeois n’a que rarement été appliquée par les groupes dits révolutionnaires. Cela ne signifie pas que cette opposition soit erronée aujourd’hui, bien au contraire, mais qu’elle doit être fondée sur des arguments solides et cohérents, sur une « analyse concrète de la situation concrète », pour reprendre une expression de la langue de bois militante.
2) La méconnaissance de l’histoire du peuple ou des peuples juifs – et évidemment aussi de la religion juive (d’où, par exemple, la dénonciation permanente du prétendu élitisme ou complexe de supériorité du « peuple élu », dénonciation qui repose sur un contresens, pour les plus ignorants, ou un faux grossier, pour les antisémites avertis ; ou encore l’ignorance de l’existence d’une théologie de la libération juive, alors que ses versions chrétienne ou musulmane sont portées au pinacle par les gauchistes et les altermondialistes).
3) La tendance, dans la propagande quotidienne voire dans certains écrits plus théoriques,
– à toujours personnaliser, diaboliser, certains individus-exploiteurs – en particulier les usuriers, spéculateurs, financiers et banquiers (et parmi eux spécialement les juifs, de Rothschild à Maddoff en passant par Goldman Sachs et DSK, les intellectuels comme BHL ou Elisabeth Badinter, ou les néoconservateurs américains ayant un nom « juif ») ;
à se concentrer uniquement sur les méfaits des banques, les paradis fiscaux, les bulles spéculatives, bref sur le capitalisme « improductif » (cosmopolite hier, mondialiste aujourd’hui) que l’on oppose au capitalisme « productif », enraciné dans la glaise nationale (on retrouve ces thèmes chez les altermondialistes, les Indignés, la gauche étatiste latino-américaine, etc.)
Cela conduit inéluctablement à ignorer, dans la propagande quotidienne, le fonctionnement du système capitaliste dont la critique rigoureuse suppose un travail de propagande plus compliqué que la simple dénonciation personnalisée de quelques spéculateurs boursiers, milliardaires cyniques, fumeurs de cigares ou « vampires » capitalistes.
4) L’illusion que l’anticapitalisme antisémite populaire de droite, ou d’extrême droite, pourrait avoir une dimension « progressiste » : en clair, les prolétaires antisémites auraient effectivement tort de limiter leur haine du système à quelques individus juifs, voire aux Juifs en tant que groupe pseudo « privilégié », mais ce n’est pas grave parce que cette confusion se décantera, les exploités ouvriront les yeux et se rendront rapidement compte qu’il faut combattre tous les capitalistes, et plus largement le système capitaliste dans son ensemble (pas simplement la banque ou la finance « juives ») et que ce système capitaliste, il faut le remplacer par une autre organisation sociale, l’abolition du salariat et de la monnaie et la suppression de l’Etat.
Ce vieil antisémitisme anticapitaliste populaire perdure mais il a été modernisé, notamment sous la forme de l’antisionisme « anti-impérialiste » dans les pays du Proche et du Moyen-Orient ; dans les communautés musulmanes des grandes métropoles occidentales ; mais aussi sous l’impulsion des régimes populistes de gauche d’Amérique latine. Tout cela se combine parfaitement à l’antijudaïsme ravivé et relooké par certaines tendances de l’islam politique.
5) Une sous-estimation, et surtout généralement une négation totale, de l’importance de l’antijudaïsme puis de l’antisémitisme moderne dans les pays qui se disent musulmans (les 57 Etats de l’Organisation pour la Conférence islamique) et de son influence dans les métropoles occidentales, facilitée par la présence des chaînes satellitaires, des imams formatés en Arabie saoudite ou dans des institutions religieuses ultraconservatrices, etc. Cette négation de l’antisémitisme repose sur une méconnaissance :
— de l’islam et de ses différents courants (cf. par exemple la façon dont gauchistes et altermondialistes minimisent les conflits historiques entre sunnites et chiites au Proche et Moyen-Orient et en attribuent la principale responsabilité à ....l’intervention américano-européenne en Irak en 2003 !),
— du statut discriminatoire des dhimmi pendant des siècles qui se combine avec le silence sur les pogromes dans les pays arabo-musulmans,
— du rôle politique de la religion dans les pays du Proche et du Moyen-Orient y compris au sein des mouvements dits de libération nationale de ces régions au XXe et XXIe siècles,
— de la circulation des thèses de l’extrême droite européenne dans le monde arabo-musulman (diffusion massive du Protocole des Sages de Sion, dont les absurdités sont reprises aussi bien dans la Charte du Hamas que dans des feuilletons télévisés ou des manuels scolaires ; accueil de conférences négationnistes en Iran ; traduction en arabe des livres de Garaudy, etc.),
du rôle actif des régimes arabes dans l’expulsion des Juifs, après 1948, de pays où ils vivaient depuis des siècles, souvent même avant l’introduction de l’islam.
Cette ignorance est renforcée par l’usage baroque d’une notion erronée empruntée à la linguistique du XIXe siècle, celle de l’existence de « peuples sémites », et transposée dans le domaine de l’anthropologie (Juifs et Arabes étant rangés dans la même ethnie, contrairement à tous les enseignements de l’histoire) ; cette notion vise à délégitimer le concept d’antisémitisme et donc aussi la lutte contre ce fléau.
6) Une volonté de se débarrasser, à bon compte, des problèmes politiques graves posés par le judéocide européen, à commencer par l’apathie ou le silence gêné de la gauche et de l’extrême gauche face à la « Shoah » pendant et après la Seconde Guerre mondiale.
Face à ce problème, les antisionistes de gauche ont recours à plusieurs procédés malhonnêtes :
– ils réduisent l’antisémitisme à un passé lointain, quasi préhistorique, ce qui permet à la fois de maintenir la fiction d’une Résistance antifasciste qui aurait combattu les effets du judéocide et de prétendre que l’antisémitisme racial nazi n’existe plus, donc qu’il faut passer à autre chose ;
ils dénoncent bruyamment la collaboration économique entre les « sionistes » et les nazis (d’où le terme ignoble de « sionazis » et les svastikas collées sur des drapeaux israéliens dans les manifestations), par le biais de l’accord Haavara, dit de Transfert, signé en 1933 ; cet accord fonctionna jusqu’en 1939 et permit aux nazis de racketter 50 000 Juifs qui purent émigrer en Palestine). Ou bien ils gonflent démesurément l’importance du groupe juif d’extrême droite Stern (qui ne compta jamais plus d’une centaine de partisans en Palestine) et qui tenta de négocier avec les nazis pour faire sortir le maximum de Juifs d’Europe. Il suffit de comparer l’argumentaire de négationnistes comme Faurisson avec celui de nombreux antisionistes, ils sont exactement les mêmes sur ce point ;
ils mettent l’accent sur la collaboration entre les Judenräte (les conseils juifs) avec les autorités allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale comme si cette « collaboration » s’était déroulée en temps de paix, dans un climat serein et sans l’usage de la torture, du chantage, de l’extorsion de fonds, de l’assassinat et la mise en place clandestine du judéocide. Parallèlement, ils ignorent ou nient l’importance de toutes les formes de résistance passive ou active, non armée ou armée, au sein des différentes communautés juives entre 1939 et 1945. Ils passent sous silence l’absence de soutien des puissances alliées « démocratiques » aussi bien que des mouvements « communistes » de résistance aux résistants antinazis juifs. Cette double opération falsificatoire permet à la gauche et à l’extrême gauche de se dédouaner de son silence durant le judéocide, de perpétuer la légende d’une éternelle passivité juive et de sous-entendre, voire d’affirmer, une complicité entre Juifs et nazis.
ils réduisent plus prosaïquement et plus couramment la crainte de l’antisémitisme actuel à une « paranoïa » multiséculaire des Juifs et des juifs.
Cette dernière explication psychologique faiblarde sur la « paranoïa » supposée des juifs, des Juifs et des Israéliens est le pendant de l’usage abusif du terme « haine de soi » par les juifs réactionnaires contre les juifs progressistes. On fera remarquer aux antisionistes soucieux de réfléchir un peu au contenu de leurs discours que les victimes du racisme, du sexisme ou de l’homophobie sont toujours accusées par leurs oppresseurs d’être sous l’emprise d’une « paranoïa », d’une « obsession » ou d’une « manie de la persécution ».
7) La reprise par les gauchistes et libertaires actuels des principaux thèmes de l’antisionisme de gauche à tonalité antisémite, fabriqué au départ par les staliniens russes et est-européens.
Les arguments fondamentaux de l’antisionisme « gauchiste » actuel ont été fabriqués par les staliniens soviétiques, qui eux-mêmes étaient antisémites, comme en témoignent l’arrestation puis l’exécution des dirigeants du Comité juif antifasciste en 1952, le procès des blouses blanches en URSS en 1953 (« Tout sioniste est l’agent du service de renseignement américain, déclara Staline. Les nationalistes juifs pensent que leur nation a été sauvée par les États-Unis, là où ils peuvent y devenir riches, bourgeois. Ils pensent qu’ils ont une dette envers les Américains. Parmi mes médecins, il y a beaucoup de sionistes »), puis les procès antisémites en Tchécoslovaquie (1952) et les campagnes antisémites en Pologne (1952, 1968), par exemple.
Ce sont les staliniens soviétiques et leurs alliés nationalistes de gauche, d’abord dans les pays de l’Est, puis dans les pays arabes, puis enfin à l’échelle planétaire, qui ont fait du mot “sioniste” un terme à la fois injurieux sur le plan politique, diabolique sur le plan religieux et commode pour remplacer le terme de “juif” et donc dissimuler son antisémitisme.
L’antisionisme stalinien s’est diffusé aussi grâce aux “communistes” juifs partisans de l’assimilation totale et convaincus que le socialisme mettrait fin à toutes les discriminations :
– dans les démocraties populaires, y compris dans des pays où les staliniens juifs avaient un poids non négligeable dans la justice, dans la police, dans l’administration voire dans l’appareil du Parti et à sa tête ; cette sur-représentation des Juifs dans les sphères dirigeantes de certaines démocraties populaires (la Hongrie étant l’exemple extrême) et les jeux cyniques de l’URSS et des Etats pseudo-socialistes ont abouti à faire endosser aux Juifs staliniens la responsabilité de la répression étatique menée contre les travailleurs et paysans de l’Est, parfois même des pogromes dans les premières années des régimes “communistes”, mais aussi l’effacement de la spécificité du judéocide et des responsabilités des populations d’Europe de l’Est ; ce silence assumé par les juifs staliniens a de fait nourri l’antisémitisme populaire, sur différents thèmes contradictoires ou complémentaires : “les communistes et les juifs sont main dans la main” ; les “juifs rescapés du judéocide sont favorisés” ; “les juifs ne font pas vraiment partie de la nation” ; voire encore plus loufoque, si c’est possible, “les anciens capitalistes juifs et les communistes juifs au pouvoir se mettent d’accord”, etc. On voit aujourd’hui les résultats délétères de cet antisionisme qui prenait les juifs et les Juifs pour cibles dans tous les ex-pays “communistes” ;
– dans les pays du Proche et du Moyen-Orient par l’intermédiaire des partis pseudo-communistes locaux dont une grande partie des membres et des dirigeants étaient juifs. Partis staliniens locaux qui, à commencer par celui de Palestine, n’avaient pas grand-chose à dire contre l’antijudaïsme et l’antisémitisme musulmans, voire contre les pogroms commis en Palestine (par exemple, celui d’Hebron en 1929 où l’on remarquera que ce ne furent pas les nouveaux colons juifs européens qui furent massacrés mais les Juifs dont les ascendants vivaient depuis des siècles en Palestine, ce qui en dit long sur l’anticolonialisme palestinien et sa dimension religieuse, fondamentalement liée à la place subalterne des dhimmis juifs, dans les sociétés régies par l’islam)....
8) La reprise acritique par les antisionistes gauchistes ou libertaires, en dehors d’Israël de débats et de concepts utilisés au sein de la société israélienne.
Depuis une vingtaine d’années, il existe des courants « postsionistes » ou antisionistes dans l’intelligentsia israélienne, et les porte-parole de ces courants (les « nouveaux historiens » comme Ilan Pappe, Benny Morris avant son virage, Tom Seguev, et des universitaires comme Sand, Zertal et Kimmerling) sont juifs et ne sont aboslument pas antisémites (même si certains Israéliens les accusent des pires déviations, cf. Post-sionisme, Post-Shoah d’Elhanan Yakira, pour une argumentation sophistiquée mais réac)...
De nombreux Israéliens, y compris « sionistes », ont abondamment recours à des comparaisons entre l’Allemagne nazie et leur pays. On se souviendra à ce sujet de la campagne menée par l’extrême droite et la droite en 1995 contre Rabin avant son assassinat où il était représenté en uniforme SS par ses adversaires en Israël. De telles analogies, même si elles sont fausses et surtout politiquement dangereuses, ont un sens en Israël, étant donné la mémoire commune du judéocide partagée par les Israéliens, quelles que soient leurs positions politiques.
Reprises littéralement en Europe ou en Amérique (qu’il s’agisse de l’Amérique du Nord ou de l’Amérique latine), continents où la gauche et l’extrême gauche ne se mobilisèrent guère contre le judéocide quand il eut lieu ; où ils firent tout leur possible pour empêcher les résistants juifs, après-guerre, de se réclamer de leur judéité, à l’Est comme à l’Ouest ; et où ils n’accordent plus aucune importance réelle au judéocide sinon pour le comparer aux méthodes de l’armée israélienne contre les Palestiniens, ces comparaisons sont néfastes, réactionnaires et font le jeu des négationnistes et des néofascistes.
Que les antisionistes israéliens ignorent délibérément le danger de ces comparaisons est très ennuyeux mais compréhensible : ils discutent au sein d’une société où tout le monde sait ce qu’a été le judéocide. Que les antisionistes occidentaux n’aient aucune mémoire historique à propos de la lâcheté de la gauche occidentale pendant la Seconde Guerre mondiale, et de la genèse antisémite de l’antisionisme stalinien est beaucoup plus inquiétant.
9. La volonté des courants gauchistes actuels de reprendre à leur compte les théories multiculturalistes et postcoloniales anglosaxonnes, à la mode dans les milieux universitaires, et importées ensuite en Europe, souvent pour servir de contrefeux au marxisme, d’ailleurs.
Cette récupération idéologique les a notamment poussés à diviser les sociétés occidentales en deux blocs antagoniques : les « Blancs » (dominants et complices des dominants) et les « non-Blancs » (dominés), dont l’opposition est présentée comme beaucoup plus importante que l’opposition entre bourgeois et prolétaires. Les Juifs étant rangés dans la catégorie des « Blancs » la critique de l’antisémitisme actuel, moderne, est passée à la trappe, voire disqualifiée par des théories moins ringardes et plus branchées (postmodernisme, déconstruction, études de genre, postcolonialisme, etc.).
Le gauchiste, et même l’intellectuel gauchiste ou altermondialiste moyen, est incapable de comprendre qu’on puisse être « Blanc » et en même temps victime de discriminations racistes puisque, dans son imaginaire, la domination raciste essentielle, pour ne pas dire unique, est actuellement celle qui vise les « non-Blancs », d’origine « postcoloniale ». Le Juif qui est aujourd’hui victime du racisme antisémite classique (religieux, économique ou racial) ou moderne (dissimulé sous un vernis « antisioniste ») n’a donc qu’à se taire puisqu’il appartient au monde des « Blancs », des dominants et de leurs complices. On remarquera que cette intransigeance ne s’applique ni aux homosexuels, ni aux lesbiennes, ni aux queer, ni aux transgenre ni aux femmes, groupes dont les gauchistes multiculturalistes reconnaissent la domination dont ils (ou elles) sont victimes, même s’ils appartiennent aux « classes moyennes », à la petite-bourgeoisie salariée voire à la bourgeoisie et surtout, pour reprendre le vocabulaire post-colonial et interclassiste, au camp des « Blancs », supposés intrinsèquement complices de l’exploitation et de la domination.
Il faut souligner ici une curieuse convergence entre l’extrême droite européenne qui condamne le féminisme comme une invention juive et anti-naturelle ; les fondamentalistes musulmans qui présentent le féminisme comme une idéologie occidentale, antireligieuse, et qui condamnent les féministes dans leurs pays comme des traîtres vendus à l’Axe du Mal « américano-sioniste » ; et les multiculturalistes occidentaux qui considèrent que les féministes « laïcardes » seraient des Blanches racistes et colonialistes. Attaquées simultanément par ces trois forces, les féministes athées, ou même simplement laïques, quel que soit le pays où elles militent, se trouvent dans une situation fort précaire, a fortiori si elles ne sont pas de farouches « antisionistes » qui dénoncent les crimes d’Israël chaque matin avant même de prendre leur petit déjeuner.
10) La confusion et l’amalgame sous le terme d’ « islamophobie » (concept imposé dans les institutions internationales par les 57 Etats de l’Organisation pour la Conférence islamique) de plusieurs phénomènes très différents :
— le racisme pseudo-scientifique né au XIXe siècle qui vise désormais surtout les immigrés d’Afrique du Nord, du Proche et du Moyen-Orient, et d’Afrique subsharienne en Europe, avec un habillage culturaliste (conflit de civilisations, défense hypocrite des Lumières et du féminisme par la droite et l’extrême droite) ;
— le racisme systémique ou institutionnel (domination cachée sous le masque de l’égalité démocratique ou républicaine) ;
— les passions religieuses antimusulmanes alimentées par des partis politiques chrétiens ou des Eglises concurrentes ;
— les conséquences de la guerre d’Algérie (intégration sociale difficile des « pieds-noirs » en France qui alimente des rancœurs antimusulmanes chez les « petits Blancs » et fournit une base sociale aux partis de droite et d’extrême droite) et sans doute demain des conflits au Proche et au Moyen-Orient (exil forcé des populations chrétiennes, véritable nettoyage ethnique, qui ne peut et ne pourra que nourrir le ressentiment contre l’islam – toutes tendances confondues – en Occident) ;
– la perte d’influence géopolitique des ex-puissances coloniales européennes (France, Grande-Bretagne, principalement) et les reculs de la puissance américaine que les classes dominantes occidentales essaient sans cesse de compenser par des « interventions humanitaires » placées sous l’égide d’une civilisation démocratique en lutte contre la barbarie « islamiste » ou « djihadiste », propagande qui ne peut que nourrir l’hostilité contre les travailleurs musulmans qui se sont installés en Europe ou en Amérique ;
— les angoisses identitaires qui stimulent le nationalisme et la xénophobie des Européens face à la construction chaotique de l’Union européenne ;
— et la critique athée rationaliste des religions.
Cette confusion volontaire entre des phénomènes et des dimensions aussi différentes a pour principal objectif de minorer voire de déconsidérer la critique de l’antisémitisme moderne, au nom de la lutte contre l’islamophobie, contre les thèses des néoconservateurs mais aussi contre le rationalisme et l’universalisme, jugés, au choix, soit trop occidental, soit « trop blanc » soit implicitement « trop juif », ou les trois à la fois.
11) La politique criminelle de l’Etat israélien et la haine qu’elle suscite chez les peuples des Etats limitrophes et chez les Palestiniens ne facilite évidemment pas la compréhension de l’antisémitisme actuel, moderne, tant le nationalisme israélien polarise toutes les frustrations et les ressentiments. Ce nationalisme :
— a défendu le droit pour les victimes du judéocide d’avoir bénéficié d’une protection étatique fiable après 1945 ;
— a revendiqué le droit historique de la communauté juive de Palestine à ne pas en être chassée par les nationalistes palestiniens ou arabes ;
— a construit un Etat juif avec toutes les dérives que peut encourager une telle définition ethnico-religieuse ;
— présente la religion juive comme un ensemble monolithique et donc, de fait, dogmatique et sectaire ;
— se réclame du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, comme n’importe mouvement de libération ;
— entretient une alliance privilégiée avec la principale puissance occidentale actuelle, les Etats-Unis, après avoir dû sa création au soutien militaire de l’impérialisme russe (ce que dissimulent tous les gauchistes nostalgiques de l’Union soviétique) ;
— encourage l’illusion qu’Israël pourrait exister durablement en ignorant, voire en méprisant, l’histoire du Proche et du Moyen-Orient, ses déterminismes religieux, sociaux et politiques ;
— conduit une expansion territoriale permanente qui ressemble à une épuration ethnique progressive et rend impossible la création d’un Etat palestinien bénéficiant des mêmes avantages naturels et géographiques (accès à la mer, à l’énergie et à l’eau, par exemple).
Face à une idéologie d’Etat complexe et contradictoire (le « sionisme », qui se réclame à la fois de traditions religieuses multiséculaires, d’un héritage socialiste-sioniste et du nationalisme bourgeois européen du XIXe siècle), il est plus simple et surtout plus commode pour le gauchiste ou l’altermondialiste européen moyen d’oublier l’antisémitisme multiséculaire du continent où il vit, y compris et surtout les formes anticapitalistes qu’y a prises l’antisémitisme de gauche.
Cela lui permet d’adopter une posture radicale, sans courir le moindre risque, et de réduire le conflit israélo-palestinien actuel à un conflit entre des Juifs/Israéliens tous colonialistes, racistes, religieux et « pro-impérialistes » (à quelques exceptions près) et des Palestiniens/musulmans/Arabes tous anticolonialistes, anti-impérialistes et internationalistes (sans aucune exception)... Un conte de fées réconfortant pour gauchistes en deuil d’une révolution européenne qui tarde à venir.
12) Une conception complotiste de l’impérialisme, particulièrement américain, réduite à la dénonciation monomaniaque de quelques présidents ou généraux criminels (souvent comparés à Hitler) et à la dénonciation d’un « lobby sioniste » censé dicter sa politique à l’Etat américain. De telles conceptions se marient fort bien avec l’anti-américanisme culturel des courants nationalistes de droite (gaullisme en France, par exemple) et de gauche (anti-américanisme primaire entretenu par les partis staliniens durant toute la guerre froide, et même longtemps après, à la fois en vue d’une alliance avec la bourgeoisie nationale dans chaque Etat européen, et par philosoviétisme fortement stimulé par les subventions russes).
Ce complotisme et cet anti-américanisme primaire rejoignent les explications des courants sunnites, chiites, qu’ils soient protégés par les pouvoirs ou dissidents (les groupes djihadistes-internationalistes), avec leur dénonciation du « Grand Satan » (Etats-Unis) et du « Petit Satan » (Israël).
Cette convergence entre ces formes d’anti-impérialisme moderne d’origine marxiste ou tiersmondiste, d’antijudaïsme traditionnel et d’antisionisme confus, aux origines nationalistes et religieuses entremêlées, explique la cohabitation parfaite au sein des manifestations dans les pays occidentaux entre les courants gauchistes et les courants les plus réactionnaires de l’islam politique.
13) Une incapacité à s’opposer à la constitution d’un (improbable ?) impérialisme européen et d’une (improbable ?) Union politique européenne en d’autres termes que ceux du nationalisme et du régionalisme.
Les critiques de la création, du fonctionnement et du développement de l’Union européenne reposent souvent sur les mêmes mécanismes de la théorie du complot que l’anticapitalisme de droite (dénonciation, au choix, des Illuminati, des francs-maçons, des Juifs apatrides, du groupe Bilderberg, de la Trilatérale, etc.) et l’anti-américanisme primaire de gauche (surestimation du rôle de l’OTAN, des manœuvres américaines au sein du FMI, de la Banque mondiale et de l’ONU ; silence face aux manœuvres géopolitiques et interventions militaires de l’impérialisme russe, ou en tout cas sous-estimation de sa puissance ; dénonciation de la « bureaucratie de Bruxelles », de la toute-puissance allemande ou des « oligarques » européens, comme si les chefs d’Etat, les ministres, les députés et les partis n’étaient pas représentés dans les institutions communautaires, comme si la plupart des capitalistes – grands, moyens, voire petits – ne soutenaient pas le projet d’intégration économique et que toutes les difficultés se réduisaient aux diktats de la méchante Allemagne, au sabotage mené par la perfide Albin philoaméricaine et à la volonté yankee de susciter la zizanie entre les Etats européens).
Dans un contexte de crise identitaire des peuples européens, il n’est pas étonnant que l’antisémitisme refasse surface. L’une des fonctions historiques et cycliques de l’antisémitisme est en effet servir de ciment à l’unité nationale, y compris dans des pays comme le Japon, où la présence juive fut et est encore insignifiante.
Cette dimension symbolique de l’antisémitisme par rapport aux questions identitaires est complètement ignorée par les gauchistes ou les libertaires obnubilés par ce qu’ils appellent l’antisionisme.
14) Confrontés à l’accélération de la mondialisation les gauchistes font preuve d’un suivisme éhonté face aux thèmes avancés par la galaxie altermondialiste, galaxie d’ailleurs financée par la manne publique, au Nord comme au Sud. Cette galaxie altermondialiste et ses têtes pensantes marxisantes sont incapables de critiquer les régimes populistes, les tendances réformistes ou nationalistes dans les pays du Sud, et ne voient aucune difficulté, au nom de la démocratie, à accueillir dans leurs réunions et manifestations, les partisans des théories du complot, les militants les plus réactionnaires de l’islam politique voire les politiciens traditionalistes chrétiens ou écologistes du moment que ces derniers défendent des positions protectionnistes ou isolationnistes.
Cette présence d’un contingent réactionnaire non négligeable, militant à visage découvert au sein de l’altermondialisme n’a pu que renforcer les propensions à l’antisémitisme, sous couvert d’antisionisme ou d’anti-impérialisme. De plus la dénonciation lancinante du prétendu rôle déterminant de la Finance cosmopolite et de la superpuissance américaine n’a que favoriser les thèses antisémites, faute d’une analyse matérialiste des mécanismes fondamentaux de l’exploitation capitaliste et des relations géopolitiques entre les puissances
15) La destructuration des classes ouvrières et les formes prises par la désindustrialisation dans les principaux pays capitalistes occidentaux, l’augmentation du chômage et son maintien à un niveau élevé, l’extension du « précariat », ont totalement désorienté les militants libertaires et d’extrême gauche qui s’attendaient à une vague révolutionnaire victorieuse dans les années 60 et 70.
Ces phénomènes imprévus, mal analysés, les ont rendus d’autant plus perméables à toutes les idéologies post-modernes, postcoloniales, qui prétendent déconstruire tous les discours, donc aussi les discours révolutionnaires classiques des « mâles blancs occidentaux », pour les remplacer par un relativisme qui morcelle les exploités à l’infini en autant de minorités, qui se définissent à partir des multiples formes spécifiques de domination qu’elles subissent.
L’idéologie classiste du mouvement ouvrier, qui voyait dans le prolétariat le principal sujet révolutionnaire et l’avant-garde de la transformation sociale, n’avait pas que des avantages, loin de là, mais au moins elle constituait un certain garde-fou, une référence commune que l’on pouvait invoquer contre l’influence délétère de l’antisémitisme anticapitaliste.
La propagande de moins en moins classiste, de plus en plus déconnectée du monde du travail salarié et des lieux de production, de la plupart des groupes libertaires et gauchistes ne peut que faciliter la régression politique générale en dehors même des tentatives de récupération idéologique ou d’infiltration de l’extrême droite.
De toute façon, celle-ci mène une campagne idéologique très habile depuis trente ans, renforcée, depuis l’invention de l’Internet, par sa présence massive sur les réseaux sociaux.
L’extrême gauche et les libertaires sont incapables de contrer efficacement cette campagne tant ils sont empêtrés dans les ambiguïtés de leur antisionisme et se refusent à faire le bilan de leurs responsabilités dans la diffusion de l’antisémitisme anticapitaliste et anti-impérialiste de gauche.
Y.C., Ni patrie ni frontières, 26/04/2014, augmenté le 8 mai 2014
PS. : Sur le même sujet on pourra lire une interview parue dans Anarchosyndicalisme ! organe de la CNT-AIT en juin 2014

FONTE: http://mondialisme.org/

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