Y.C., Ni patrie ni frontières, 26 avril 2014
Sur les sources de l’antisémitisme de gauche, anticapitaliste et/ou anti-impérialiste
« Et puis, on peut être contre la politique internationale d’Israël sans être antisémite. »
(David Rachline, maire Front national de Fréjus)
La première révision douloureuse qu’il faut opérer, si l’on veut
vraiment sortir des ambiguïtés de l’antisionisme de gauche actuel, c’est
qu’il existe une vieille tradition antisémite anticapitaliste et/ou
anti-impérialiste particulièrement vivace à gauche et à l’extrême
gauche, en Europe, mais aussi ailleurs.
A ma connaissance, seuls deux groupes, aux origines politiques très
différentes, se sont démarqué publiquement des ambiguïtés des milieux
gauchistes et altermondialistes à ce propos : l’AWL en Grande-Bretagne
(un groupe trotskyste) et Doorbraak (ex-De Fabel van de illegaal) aux
Pays-Bas, organisation « communiste libertaire ». Je pourrais mentionner
les Anti-Deutsch en Allemagne, qui viennent au départ du maoïsme et de
l’autonomie, mais leurs positions actuelles ne peuvent être qualifiées
d’extrême gauche, ni même de gauche, tant elles sont devenues synonymes
de défense fanatique des politiques américaines et israéliennes... au
nom d’une condamnation radicale du nationalisme allemand .
Aucun des groupes libertaires ou d’extrême gauche français ne s’est
posé la question de l’antisémitisme de gauche et n’a essayé de le
combattre sérieusement dans ses propres rangs. A lui seul, le silence
sur Dieudonné dans ces milieux depuis dix ans est éloquent (et ce ne
sont pas les défenseurs libertaires de la « liberté d’expression » de
Dieudonné face aux mesurettes répressives de Valls qui pourraient nous
inciter à croire à une quelconque prise de conscience ou autocritique de
leur lâcheté passée).
Mais on pourrait aussi citer les innombrables fois où des sites et des
auteurs conspirationnistes et antisémites sont cités comme références
par des militants gauchistes dans leurs échanges sur Internet, quand ils
ne figurent pas comme liens réguliers de revues, d’organisations ou de
sites alternatifs dits « radicaux ».
Cette indifférence – voire cette attitude « carrément » je-m’en-foutiste
– ne peut que les rendre particulièrement vulnérables et suspects face
aux critiques de journalistes pressés, d’historiens peu scrupuleux mais
aussi de personnes de bonne foi n’ayant pas des œillères
« antisionistes » et donc qui ne sont pas obsédés par Israël et la
Palestine du matin au soir.
Les groupes gauchistes ou libertaires, en France comme ailleurs, nient
généralement ce phénomène ou bien le réduisent aux délires de quelques
individus aigris et isolés, de quelques (ex) ultragauches décérébrés
passés à l’extrême droite, ou surtout aux calomnies des « sionistes »
pour faire taire toute critique contre Israël.
Entreprendre une telle réflexion sur l’antisémitisme de gauche actuel
suppose déjà de bien connaître les mécanismes traditionnels de
l’antijudaïsme chrétien et musulman et de l’antisémitisme racial, quelle
a été leur évolution et quels sont leurs nouveaux déguisements et
mutations. Si l’on pense que l’antisémitisme est un phénomène en voie de
disparition, si on le réduit à l’antijudaïsme chrétien du Moyen Age ou
aux théories raciales nazies, et si l’on croit que seul sévit
aujourd’hui « l’islamophobie », nul besoin de s’y intéresser. Mieux (ou
plutôt pire), toute personne qui soulève le sujet est forcément un flic,
un sioniste, un néo-conservateur ou un paranoïaque
anticonspirationniste...
Pour expliquer cet antisémitisme de gauche, à tonalité
anti-impérialiste et/ou anticapitaliste, on peut distinguer plusieurs
facteurs présentés ici de façon succincte, mais qu’il faudrait
évidemment développer beaucoup plus longuement :
1. L’incapacité des marxistes et des anarchistes à définir
une position matérialiste opératoire sur ce qu’il est convenu d’appeler
la question juive comme d’ailleurs sur d’autres questions nationales,
religieuses ou culturelles.
Pour les courants marxistes, au moins, cette attitude était
compréhensible au XIXe siècle et même jusqu’à la révolution d’Octobre,
en raison de l’imminence proclamée de l’effondrement du capitalisme,
effondrement qui laisserait la place au socialisme censé résoudre tous
les problèmes « secondaires » (racisme, antisémitisme, nationalisme,
domination des femmes, etc.) légués par le « vieux monde ».
Rappelons à tous les « antisionistes » qui se réclament de penseurs
marxistes actuels (Daniel Bensaïd, Jean-Jacques Marie, Enzo Traverso) et
qui osent se réclamer du Bund, que ce courant fut violemment dénoncé
par Plekhanov (il les qualifiait de « sionistes qui ont le mal de mer »)
et par Lénine (dans ses Notes critiques sur la question nationale
écrites en 1913 il évoque « la nation la plus opprimée et la plus
traquée, la nation juive » mais écrit ensuite « Quiconque proclame
directement ou indirectement le mot d’ordre de la “ culture nationale ”
juive est (si excellentes que puissent être ses intentions) un ennemi du
prolétariat, un partisan des éléments anciens et frappés d’un caractère
de caste de la société juive, un complice des rabbins et des
bourgeois » ; bref Vladimir Ilitch était lui aussi atteint par le « mal
de mer » quand il évoquait la question juive et ne savait pas par quel
bout la prendre...). Signalons enfin que le Bund fut réprimé par l’Etat
soviétique dès 1919 (donc par Lénine et Trotsky au pouvoir, pas par
Staline) et obligé de se dissoudre en mars 1920.
Aujourd’hui, après la création de dizaines d’Etats-nations, la
victoire des idéologies nationalistes aussi bien dans les pays du tiers
monde (des guérillas victorieuses – Chine, Cuba, Algérie, Vietnam,
Mozambique, Angola, etc. – aux régimes populistes latino-américains
actuels) que dans les pays occidentaux (influence prédominante de
l’esprit interclassiste des Résistances dites « antifascistes »,
bourgeoises et staliniennes en Europe dans les années 1950/1960, puis
émergence de régionalismes à tonalité indépendantiste au Pays basque,
en Ecosse, etc.), une telle indifférence face à la question juive
(couplée généralement à un opportunisme vis-à-vis d’autres nationalismes
ou régionalismes) n’est plus tenable sans un bilan politique approfondi
et une mise à jour sérieuse.
Et c’est justement parce que cette indifférence n’est plus tenable
que les principes internationalistes traditionnels défendus – en théorie
– par les groupes gauchistes ou libertaires sont d’autant plus
facilement vidés de leur contenu prolétarien, anational, originel. Que
l’on est passé du soutien du combat commun des prolétaires israéliens et
arabes, jusqu’à la fin des années 60, au soutien acritique au Hamas ou
au FPLP, en passant à la trappe toute référence à la classe ouvrière
israélienne ou même aux classes ouvrières arabes. L’opposition de
principe au nationalisme bourgeois n’a que rarement été appliquée par
les groupes dits révolutionnaires. Cela ne signifie pas que cette
opposition soit erronée aujourd’hui, bien au contraire, mais qu’elle
doit être fondée sur des arguments solides et cohérents, sur une
« analyse concrète de la situation concrète », pour reprendre une
expression de la langue de bois militante.
2) La méconnaissance de l’histoire du peuple ou des peuples juifs – et évidemment aussi de la religion juive
(d’où, par exemple, la dénonciation permanente du prétendu élitisme ou
complexe de supériorité du « peuple élu », dénonciation qui repose sur
un contresens, pour les plus ignorants, ou un faux grossier, pour les
antisémites avertis ; ou encore l’ignorance de l’existence d’une
théologie de la libération juive, alors que ses versions chrétienne ou
musulmane sont portées au pinacle par les gauchistes et les
altermondialistes).
3) La tendance, dans la propagande quotidienne voire dans certains écrits plus théoriques,
– à toujours personnaliser, diaboliser, certains individus-exploiteurs
– en particulier les usuriers, spéculateurs, financiers et banquiers
(et parmi eux spécialement les juifs, de Rothschild à Maddoff en passant
par Goldman Sachs et DSK, les intellectuels comme BHL ou Elisabeth
Badinter, ou les néoconservateurs américains ayant un nom « juif ») ;
– à se concentrer uniquement sur les méfaits des banques, les
paradis fiscaux, les bulles spéculatives, bref sur le capitalisme
« improductif » (cosmopolite hier, mondialiste aujourd’hui) que
l’on oppose au capitalisme « productif », enraciné dans la glaise
nationale (on retrouve ces thèmes chez les altermondialistes, les
Indignés, la gauche étatiste latino-américaine, etc.)
Cela conduit inéluctablement à ignorer, dans la propagande quotidienne,
le fonctionnement du système capitaliste dont la critique rigoureuse
suppose un travail de propagande plus compliqué que la simple
dénonciation personnalisée de quelques spéculateurs boursiers,
milliardaires cyniques, fumeurs de cigares ou « vampires » capitalistes.
4) L’illusion que l’anticapitalisme antisémite populaire de
droite, ou d’extrême droite, pourrait avoir une dimension
« progressiste » : en clair, les prolétaires antisémites
auraient effectivement tort de limiter leur haine du système à quelques
individus juifs, voire aux Juifs en tant que groupe pseudo
« privilégié », mais ce n’est pas grave parce que cette confusion se
décantera, les exploités ouvriront les yeux et se rendront rapidement
compte qu’il faut combattre tous les capitalistes, et plus largement le
système capitaliste dans son ensemble (pas simplement la banque ou la
finance « juives ») et que ce système capitaliste, il faut le remplacer
par une autre organisation sociale, l’abolition du salariat et de la
monnaie et la suppression de l’Etat.
Ce vieil antisémitisme anticapitaliste populaire perdure mais il a été
modernisé, notamment sous la forme de l’antisionisme
« anti-impérialiste » dans les pays du Proche et du Moyen-Orient ; dans
les communautés musulmanes des grandes métropoles occidentales ; mais
aussi sous l’impulsion des régimes populistes de gauche d’Amérique
latine. Tout cela se combine parfaitement à l’antijudaïsme ravivé et
relooké par certaines tendances de l’islam politique.
5) Une sous-estimation, et surtout généralement une négation
totale, de l’importance de l’antijudaïsme puis de l’antisémitisme
moderne dans les pays qui se disent musulmans (les 57 Etats de
l’Organisation pour la Conférence islamique) et de son
influence dans les métropoles occidentales, facilitée par la présence
des chaînes satellitaires, des imams formatés en Arabie saoudite ou dans
des institutions religieuses ultraconservatrices, etc. Cette négation
de l’antisémitisme repose sur une méconnaissance :
— de l’islam et de ses différents courants (cf. par exemple la façon
dont gauchistes et altermondialistes minimisent les conflits historiques
entre sunnites et chiites au Proche et Moyen-Orient et en attribuent la
principale responsabilité à ....l’intervention américano-européenne en
Irak en 2003 !),
— du statut discriminatoire des dhimmi pendant des siècles qui se combine avec le silence sur les pogromes dans les pays arabo-musulmans,
— du rôle politique de la religion dans les pays du
Proche et du Moyen-Orient y compris au sein des mouvements dits de
libération nationale de ces régions au XXe et XXIe siècles,
— de la circulation des thèses de l’extrême droite européenne dans le monde arabo-musulman
(diffusion massive du Protocole des Sages de Sion, dont les absurdités
sont reprises aussi bien dans la Charte du Hamas que dans des
feuilletons télévisés ou des manuels scolaires ; accueil de conférences
négationnistes en Iran ; traduction en arabe des livres de Garaudy,
etc.),
— du rôle actif des régimes arabes dans l’expulsion des Juifs, après 1948, de pays où ils vivaient depuis des siècles, souvent même avant l’introduction de l’islam.
Cette ignorance est renforcée par l’usage baroque d’une notion erronée
empruntée à la linguistique du XIXe siècle, celle de l’existence de
« peuples sémites », et transposée dans le domaine de l’anthropologie
(Juifs et Arabes étant rangés dans la même ethnie, contrairement à tous
les enseignements de l’histoire) ; cette notion vise à délégitimer le
concept d’antisémitisme et donc aussi la lutte contre ce fléau.
6) Une volonté de se débarrasser, à bon compte, des problèmes politiques graves posés par le judéocide européen,
à commencer par l’apathie ou le silence gêné de la gauche et de
l’extrême gauche face à la « Shoah » pendant et après la Seconde Guerre
mondiale.
Face à ce problème, les antisionistes de gauche ont recours à plusieurs procédés malhonnêtes :
– ils réduisent l’antisémitisme à un passé lointain,
quasi préhistorique, ce qui permet à la fois de maintenir la fiction
d’une Résistance antifasciste qui aurait combattu les effets du
judéocide et de prétendre que l’antisémitisme racial nazi n’existe plus,
donc qu’il faut passer à autre chose ;
– ils dénoncent bruyamment la collaboration économique entre les « sionistes » et les nazis
(d’où le terme ignoble de « sionazis » et les svastikas collées sur des
drapeaux israéliens dans les manifestations), par le biais de l’accord
Haavara, dit de Transfert, signé en 1933 ; cet accord fonctionna
jusqu’en 1939 et permit aux nazis de racketter 50 000 Juifs qui purent
émigrer en Palestine). Ou bien ils gonflent démesurément l’importance du
groupe juif d’extrême droite Stern (qui ne compta jamais plus d’une
centaine de partisans en Palestine) et qui tenta de négocier avec les
nazis pour faire sortir le maximum de Juifs d’Europe. Il suffit de
comparer l’argumentaire de négationnistes comme Faurisson avec celui de
nombreux antisionistes, ils sont exactement les mêmes sur ce point ;
– ils mettent l’accent sur la collaboration entre les Judenräte (les conseils juifs) avec les autorités allemandes
pendant la Seconde Guerre mondiale comme si cette « collaboration »
s’était déroulée en temps de paix, dans un climat serein et sans l’usage
de la torture, du chantage, de l’extorsion de fonds, de l’assassinat et
la mise en place clandestine du judéocide. Parallèlement, ils ignorent
ou nient l’importance de toutes les formes de résistance passive ou
active, non armée ou armée, au sein des différentes communautés juives
entre 1939 et 1945. Ils passent sous silence l’absence de soutien des
puissances alliées « démocratiques » aussi bien que des mouvements
« communistes » de résistance aux résistants antinazis juifs. Cette
double opération falsificatoire permet à la gauche et à l’extrême gauche
de se dédouaner de son silence durant le judéocide, de perpétuer la
légende d’une éternelle passivité juive et de sous-entendre, voire
d’affirmer, une complicité entre Juifs et nazis.
– ils réduisent plus prosaïquement et plus couramment la crainte de l’antisémitisme actuel à une « paranoïa » multiséculaire des Juifs et des juifs.
Cette dernière explication psychologique faiblarde sur la « paranoïa »
supposée des juifs, des Juifs et des Israéliens est le pendant de
l’usage abusif du terme « haine de soi » par les juifs réactionnaires
contre les juifs progressistes. On fera remarquer aux antisionistes
soucieux de réfléchir un peu au contenu de leurs discours que les
victimes du racisme, du sexisme ou de l’homophobie sont toujours
accusées par leurs oppresseurs d’être sous l’emprise d’une « paranoïa »,
d’une « obsession » ou d’une « manie de la persécution ».
7) La reprise par les gauchistes et libertaires actuels des
principaux thèmes de l’antisionisme de gauche à tonalité antisémite,
fabriqué au départ par les staliniens russes et est-européens.
Les arguments fondamentaux de l’antisionisme « gauchiste » actuel ont
été fabriqués par les staliniens soviétiques, qui eux-mêmes étaient
antisémites, comme en témoignent l’arrestation puis l’exécution des
dirigeants du Comité juif antifasciste en 1952, le procès des blouses
blanches en URSS en 1953 (« Tout sioniste est l’agent du service de
renseignement américain, déclara Staline. Les nationalistes juifs
pensent que leur nation a été sauvée par les États-Unis, là où ils
peuvent y devenir riches, bourgeois. Ils pensent qu’ils ont une dette
envers les Américains. Parmi mes médecins, il y a beaucoup de sionistes »), puis les procès antisémites en Tchécoslovaquie (1952) et les campagnes antisémites en Pologne (1952, 1968), par exemple.
Ce sont les staliniens soviétiques et leurs alliés nationalistes de
gauche, d’abord dans les pays de l’Est, puis dans les pays arabes, puis
enfin à l’échelle planétaire, qui ont fait du mot “sioniste” un terme à
la fois injurieux sur le plan politique, diabolique sur le plan
religieux et commode pour remplacer le terme de “juif” et donc
dissimuler son antisémitisme.
L’antisionisme stalinien s’est diffusé aussi grâce aux “communistes”
juifs partisans de l’assimilation totale et convaincus que le socialisme
mettrait fin à toutes les discriminations :
– dans les démocraties populaires, y compris dans des pays où les
staliniens juifs avaient un poids non négligeable dans la justice, dans
la police, dans l’administration voire dans l’appareil du Parti et à sa
tête ; cette sur-représentation des Juifs dans les sphères dirigeantes
de certaines démocraties populaires (la Hongrie étant l’exemple extrême)
et les jeux cyniques de l’URSS et des Etats pseudo-socialistes ont
abouti à faire endosser aux Juifs staliniens la responsabilité de la
répression étatique menée contre les travailleurs et paysans de l’Est,
parfois même des pogromes dans les premières années des régimes
“communistes”, mais aussi l’effacement de la spécificité du judéocide et
des responsabilités des populations d’Europe de l’Est ; ce silence
assumé par les juifs staliniens a de fait nourri l’antisémitisme
populaire, sur différents thèmes contradictoires ou complémentaires :
“les communistes et les juifs sont main dans la main” ; les “juifs
rescapés du judéocide sont favorisés” ; “les juifs ne font pas vraiment
partie de la nation” ; voire encore plus loufoque, si c’est possible,
“les anciens capitalistes juifs et les communistes juifs au pouvoir se
mettent d’accord”, etc. On voit aujourd’hui les résultats délétères de
cet antisionisme qui prenait les juifs et les Juifs pour cibles dans
tous les ex-pays “communistes” ;
– dans les pays du Proche et du Moyen-Orient par l’intermédiaire des
partis pseudo-communistes locaux dont une grande partie des membres et
des dirigeants étaient juifs. Partis staliniens locaux qui, à commencer
par celui de Palestine, n’avaient pas grand-chose à dire contre
l’antijudaïsme et l’antisémitisme musulmans, voire contre les pogroms
commis en Palestine (par exemple, celui d’Hebron en 1929 où l’on
remarquera que ce ne furent pas les nouveaux colons juifs européens qui
furent massacrés mais les Juifs dont les ascendants vivaient depuis des
siècles en Palestine, ce qui en dit long sur l’anticolonialisme
palestinien et sa dimension religieuse, fondamentalement liée à la place
subalterne des dhimmis juifs, dans les sociétés régies par l’islam)....
8) La reprise acritique par les antisionistes gauchistes ou
libertaires, en dehors d’Israël de débats et de concepts utilisés au
sein de la société israélienne.
Depuis une vingtaine d’années, il existe des courants
« postsionistes » ou antisionistes dans l’intelligentsia israélienne, et
les porte-parole de ces courants (les « nouveaux historiens » comme
Ilan Pappe, Benny Morris avant son virage, Tom Seguev, et des
universitaires comme Sand, Zertal et Kimmerling) sont juifs et ne sont
aboslument pas antisémites (même si certains Israéliens les accusent des
pires déviations, cf. Post-sionisme, Post-Shoah d’Elhanan Yakira, pour une argumentation sophistiquée mais réac)...
De nombreux Israéliens, y compris « sionistes », ont abondamment
recours à des comparaisons entre l’Allemagne nazie et leur pays. On se
souviendra à ce sujet de la campagne menée par l’extrême droite et la
droite en 1995 contre Rabin avant son assassinat où il était représenté
en uniforme SS par ses adversaires en Israël. De telles analogies, même
si elles sont fausses et surtout politiquement dangereuses, ont un sens
en Israël, étant donné la mémoire commune du judéocide partagée par les
Israéliens, quelles que soient leurs positions politiques.
Reprises littéralement en Europe ou en Amérique (qu’il s’agisse de
l’Amérique du Nord ou de l’Amérique latine), continents où la gauche et
l’extrême gauche ne se mobilisèrent guère contre le judéocide quand il
eut lieu ; où ils firent tout leur possible pour empêcher les résistants
juifs, après-guerre, de se réclamer de leur judéité, à l’Est comme à
l’Ouest ; et où ils n’accordent plus aucune importance réelle au
judéocide sinon pour le comparer aux méthodes de l’armée israélienne
contre les Palestiniens, ces comparaisons sont néfastes, réactionnaires et font le jeu des négationnistes et des néofascistes.
Que les antisionistes israéliens ignorent délibérément le danger de
ces comparaisons est très ennuyeux mais compréhensible : ils discutent
au sein d’une société où tout le monde sait ce qu’a été le judéocide. Que
les antisionistes occidentaux n’aient aucune mémoire historique à
propos de la lâcheté de la gauche occidentale pendant la Seconde Guerre
mondiale, et de la genèse antisémite de l’antisionisme stalinien est
beaucoup plus inquiétant.
9. La volonté des courants gauchistes actuels de reprendre à
leur compte les théories multiculturalistes et postcoloniales
anglosaxonnes, à la mode dans les milieux universitaires, et
importées ensuite en Europe, souvent pour servir de contrefeux au
marxisme, d’ailleurs.
Cette récupération idéologique les a notamment poussés à diviser les
sociétés occidentales en deux blocs antagoniques : les « Blancs »
(dominants et complices des dominants) et les « non-Blancs » (dominés),
dont l’opposition est présentée comme beaucoup plus importante que
l’opposition entre bourgeois et prolétaires. Les Juifs étant rangés
dans la catégorie des « Blancs » la critique de l’antisémitisme actuel,
moderne, est passée à la trappe, voire disqualifiée par des théories
moins ringardes et plus branchées (postmodernisme, déconstruction,
études de genre, postcolonialisme, etc.).
Le gauchiste, et même l’intellectuel gauchiste ou
altermondialiste moyen, est incapable de comprendre qu’on puisse être
« Blanc » et en même temps victime de discriminations racistes
puisque, dans son imaginaire, la domination raciste essentielle, pour ne
pas dire unique, est actuellement celle qui vise les « non-Blancs »,
d’origine « postcoloniale ». Le Juif qui est aujourd’hui victime du
racisme antisémite classique (religieux, économique ou racial) ou
moderne (dissimulé sous un vernis « antisioniste ») n’a donc qu’à se
taire puisqu’il appartient au monde des « Blancs », des dominants et de
leurs complices. On remarquera que cette intransigeance ne s’applique ni
aux homosexuels, ni aux lesbiennes, ni aux queer, ni aux transgenre ni
aux femmes, groupes dont les gauchistes multiculturalistes reconnaissent
la domination dont ils (ou elles) sont victimes, même s’ils
appartiennent aux « classes moyennes », à la petite-bourgeoisie salariée
voire à la bourgeoisie et surtout, pour reprendre le vocabulaire
post-colonial et interclassiste, au camp des « Blancs », supposés
intrinsèquement complices de l’exploitation et de la domination.
Il faut souligner ici une curieuse convergence entre l’extrême droite
européenne qui condamne le féminisme comme une invention juive et
anti-naturelle ; les fondamentalistes musulmans qui présentent le
féminisme comme une idéologie occidentale, antireligieuse, et qui
condamnent les féministes dans leurs pays comme des traîtres vendus à
l’Axe du Mal « américano-sioniste » ; et les multiculturalistes
occidentaux qui considèrent que les féministes « laïcardes » seraient
des Blanches racistes et colonialistes. Attaquées simultanément par ces
trois forces, les féministes athées, ou même simplement laïques, quel
que soit le pays où elles militent, se trouvent dans une situation fort
précaire, a fortiori si elles ne sont pas de farouches « antisionistes »
qui dénoncent les crimes d’Israël chaque matin avant même de prendre
leur petit déjeuner.
10) La confusion et l’amalgame sous le terme d’
« islamophobie » (concept imposé dans les institutions internationales
par les 57 Etats de l’Organisation pour la Conférence islamique) de
plusieurs phénomènes très différents :
— le racisme pseudo-scientifique né au XIXe siècle qui vise désormais
surtout les immigrés d’Afrique du Nord, du Proche et du Moyen-Orient,
et d’Afrique subsharienne en Europe, avec un habillage culturaliste
(conflit de civilisations, défense hypocrite des Lumières et du
féminisme par la droite et l’extrême droite) ;
— le racisme systémique ou institutionnel (domination cachée sous le masque de l’égalité démocratique ou républicaine) ;
— les passions religieuses antimusulmanes alimentées par des partis politiques chrétiens ou des Eglises concurrentes ;
— les conséquences de la guerre d’Algérie (intégration sociale
difficile des « pieds-noirs » en France qui alimente des rancœurs
antimusulmanes chez les « petits Blancs » et fournit une base sociale
aux partis de droite et d’extrême droite) et sans doute demain des
conflits au Proche et au Moyen-Orient (exil forcé des populations
chrétiennes, véritable nettoyage ethnique, qui ne peut et ne pourra que
nourrir le ressentiment contre l’islam – toutes tendances confondues –
en Occident) ;
– la perte d’influence géopolitique des ex-puissances coloniales
européennes (France, Grande-Bretagne, principalement) et les reculs de
la puissance américaine que les classes dominantes occidentales essaient
sans cesse de compenser par des « interventions humanitaires » placées
sous l’égide d’une civilisation démocratique en lutte contre la barbarie
« islamiste » ou « djihadiste », propagande qui ne peut que nourrir
l’hostilité contre les travailleurs musulmans qui se sont installés en
Europe ou en Amérique ;
— les angoisses identitaires qui stimulent le nationalisme et la
xénophobie des Européens face à la construction chaotique de l’Union
européenne ;
— et la critique athée rationaliste des religions.
Cette confusion volontaire entre des phénomènes et des dimensions
aussi différentes a pour principal objectif de minorer voire de
déconsidérer la critique de l’antisémitisme moderne, au nom de la lutte
contre l’islamophobie, contre les thèses des néoconservateurs mais aussi
contre le rationalisme et l’universalisme, jugés, au choix, soit trop
occidental, soit « trop blanc » soit implicitement « trop juif », ou les
trois à la fois.
11) La politique criminelle de l’Etat israélien et la haine
qu’elle suscite chez les peuples des Etats limitrophes et chez les
Palestiniens ne facilite évidemment pas la compréhension de
l’antisémitisme actuel, moderne, tant le nationalisme israélien polarise
toutes les frustrations et les ressentiments. Ce nationalisme :
— a défendu le droit pour les victimes du judéocide d’avoir bénéficié d’une protection étatique fiable après 1945 ;
— a revendiqué le droit historique de la communauté juive de
Palestine à ne pas en être chassée par les nationalistes palestiniens ou
arabes ;
— a construit un Etat juif avec toutes les dérives que peut encourager une telle définition ethnico-religieuse ;
— présente la religion juive comme un ensemble monolithique et donc, de fait, dogmatique et sectaire ;
— se réclame du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, comme n’importe mouvement de libération ;
— entretient une alliance privilégiée avec la principale puissance
occidentale actuelle, les Etats-Unis, après avoir dû sa création au
soutien militaire de l’impérialisme russe (ce que dissimulent tous les
gauchistes nostalgiques de l’Union soviétique) ;
— encourage l’illusion qu’Israël pourrait exister durablement en
ignorant, voire en méprisant, l’histoire du Proche et du Moyen-Orient,
ses déterminismes religieux, sociaux et politiques ;
— conduit une expansion territoriale permanente qui ressemble à une
épuration ethnique progressive et rend impossible la création d’un Etat
palestinien bénéficiant des mêmes avantages naturels et géographiques
(accès à la mer, à l’énergie et à l’eau, par exemple).
Face à une idéologie d’Etat complexe et contradictoire (le
« sionisme », qui se réclame à la fois de traditions religieuses
multiséculaires, d’un héritage socialiste-sioniste et du nationalisme
bourgeois européen du XIXe siècle), il est plus simple et surtout plus
commode pour le gauchiste ou l’altermondialiste européen moyen d’oublier
l’antisémitisme multiséculaire du continent où il vit, y compris et
surtout les formes anticapitalistes qu’y a prises l’antisémitisme de
gauche.
Cela lui permet d’adopter une posture radicale, sans courir le moindre
risque, et de réduire le conflit israélo-palestinien actuel à un
conflit entre des Juifs/Israéliens tous colonialistes, racistes,
religieux et « pro-impérialistes » (à quelques exceptions près) et des
Palestiniens/musulmans/Arabes tous anticolonialistes, anti-impérialistes
et internationalistes (sans aucune exception)... Un conte de fées
réconfortant pour gauchistes en deuil d’une révolution européenne qui
tarde à venir.
12) Une conception complotiste de l’impérialisme,
particulièrement américain, réduite à la dénonciation monomaniaque de
quelques présidents ou généraux criminels (souvent comparés à Hitler) et
à la dénonciation d’un « lobby sioniste » censé dicter sa
politique à l’Etat américain. De telles conceptions se marient fort bien
avec l’anti-américanisme culturel des courants nationalistes de droite
(gaullisme en France, par exemple) et de gauche (anti-américanisme
primaire entretenu par les partis staliniens durant toute la guerre
froide, et même longtemps après, à la fois en vue d’une alliance avec la
bourgeoisie nationale dans chaque Etat européen, et par philosoviétisme
fortement stimulé par les subventions russes).
Ce complotisme et cet anti-américanisme primaire rejoignent les
explications des courants sunnites, chiites, qu’ils soient protégés par
les pouvoirs ou dissidents (les groupes
djihadistes-internationalistes), avec leur dénonciation du « Grand
Satan » (Etats-Unis) et du « Petit Satan » (Israël).
Cette convergence entre ces formes d’anti-impérialisme moderne
d’origine marxiste ou tiersmondiste, d’antijudaïsme traditionnel et
d’antisionisme confus, aux origines nationalistes et religieuses
entremêlées, explique la cohabitation parfaite au sein des
manifestations dans les pays occidentaux entre les courants gauchistes
et les courants les plus réactionnaires de l’islam politique.
13) Une incapacité à s’opposer à la constitution d’un
(improbable ?) impérialisme européen et d’une (improbable ?) Union
politique européenne en d’autres termes que ceux du nationalisme et du régionalisme.
Les critiques de la création, du fonctionnement et du développement de
l’Union européenne reposent souvent sur les mêmes mécanismes de la
théorie du complot que l’anticapitalisme de droite (dénonciation, au
choix, des Illuminati, des francs-maçons, des Juifs apatrides, du groupe
Bilderberg, de la Trilatérale, etc.) et l’anti-américanisme primaire
de gauche (surestimation du rôle de l’OTAN, des manœuvres américaines au
sein du FMI, de la Banque mondiale et de l’ONU ; silence face aux
manœuvres géopolitiques et interventions militaires de l’impérialisme
russe, ou en tout cas sous-estimation de sa puissance ; dénonciation de
la « bureaucratie de Bruxelles », de la toute-puissance allemande ou des
« oligarques » européens, comme si les chefs d’Etat, les ministres, les
députés et les partis n’étaient pas représentés dans les institutions
communautaires, comme si la plupart des capitalistes – grands, moyens,
voire petits – ne soutenaient pas le projet d’intégration économique et
que toutes les difficultés se réduisaient aux diktats de la méchante
Allemagne, au sabotage mené par la perfide Albin philoaméricaine et à
la volonté yankee de susciter la zizanie entre les Etats européens).
Dans un contexte de crise identitaire des peuples européens, il n’est
pas étonnant que l’antisémitisme refasse surface. L’une des fonctions
historiques et cycliques de l’antisémitisme est en effet servir de
ciment à l’unité nationale, y compris dans des pays comme le Japon, où
la présence juive fut et est encore insignifiante.
Cette dimension symbolique de l’antisémitisme par rapport aux questions
identitaires est complètement ignorée par les gauchistes ou les
libertaires obnubilés par ce qu’ils appellent l’antisionisme.
14) Confrontés à l’accélération de la mondialisation les
gauchistes font preuve d’un suivisme éhonté face aux thèmes avancés par
la galaxie altermondialiste, galaxie d’ailleurs financée par la
manne publique, au Nord comme au Sud. Cette galaxie altermondialiste et
ses têtes pensantes marxisantes sont incapables de critiquer les
régimes populistes, les tendances réformistes ou nationalistes dans les
pays du Sud, et ne voient aucune difficulté, au nom de la démocratie, à
accueillir dans leurs réunions et manifestations, les partisans des
théories du complot, les militants les plus réactionnaires de l’islam
politique voire les politiciens traditionalistes chrétiens ou
écologistes du moment que ces derniers défendent des positions
protectionnistes ou isolationnistes.
Cette présence d’un contingent réactionnaire non négligeable,
militant à visage découvert au sein de l’altermondialisme n’a pu que
renforcer les propensions à l’antisémitisme, sous couvert d’antisionisme
ou d’anti-impérialisme. De plus la dénonciation lancinante du prétendu
rôle déterminant de la Finance cosmopolite et de la superpuissance
américaine n’a que favoriser les thèses antisémites, faute d’une analyse
matérialiste des mécanismes fondamentaux de l’exploitation capitaliste
et des relations géopolitiques entre les puissances
15) La destructuration des classes ouvrières et les formes
prises par la désindustrialisation dans les principaux pays capitalistes
occidentaux, l’augmentation du chômage et son maintien à un niveau
élevé, l’extension du « précariat », ont totalement désorienté les
militants libertaires et d’extrême gauche qui s’attendaient à une vague révolutionnaire victorieuse dans les années 60 et 70.
Ces phénomènes imprévus, mal analysés, les ont rendus d’autant plus
perméables à toutes les idéologies post-modernes, postcoloniales, qui
prétendent déconstruire tous les discours, donc aussi les discours
révolutionnaires classiques des « mâles blancs occidentaux », pour les
remplacer par un relativisme qui morcelle les exploités à l’infini en
autant de minorités, qui se définissent à partir des multiples formes
spécifiques de domination qu’elles subissent.
L’idéologie classiste du mouvement ouvrier, qui voyait dans le
prolétariat le principal sujet révolutionnaire et l’avant-garde de la
transformation sociale, n’avait pas que des avantages, loin de là, mais
au moins elle constituait un certain garde-fou, une référence commune
que l’on pouvait invoquer contre l’influence délétère de l’antisémitisme
anticapitaliste.
La propagande de moins en moins classiste, de plus en plus
déconnectée du monde du travail salarié et des lieux de production, de
la plupart des groupes libertaires et gauchistes ne peut que faciliter
la régression politique générale en dehors même des tentatives de
récupération idéologique ou d’infiltration de l’extrême droite.
De toute façon, celle-ci mène une campagne idéologique très habile
depuis trente ans, renforcée, depuis l’invention de l’Internet, par sa
présence massive sur les réseaux sociaux.
L’extrême gauche et les libertaires sont incapables de contrer
efficacement cette campagne tant ils sont empêtrés dans les ambiguïtés
de leur antisionisme et se refusent à faire le bilan de leurs
responsabilités dans la diffusion de l’antisémitisme anticapitaliste et
anti-impérialiste de gauche.
Y.C., Ni patrie ni frontières, 26/04/2014, augmenté le 8 mai 2014
PS. : Sur le même sujet on pourra lire une interview parue dans Anarchosyndicalisme ! organe de la CNT-AIT en juin 2014
FONTE: http://mondialisme.org/
"La verità, per quanto dolorosa, per quanto carica di conseguenze che sconvolgono l'esistenza, è condizione indispensabile per la vita. Non si tratta della semplice verità di un nome, un origine o una filiazione. La verità afferma, è la condizione per essere se stessi". Victoria Donda
Simonetti Walter ( IA Chimera ) un segreto di Stato il ringiovanito Biografia ucronia Ufficiale post
https://drive.google.com/file/d/1p3GwkiDugGlAKm0ESPZxv_Z2a1o8CicJ/view?usp=drivesdk
domenica, febbraio 01, 2015
Yves Coleman Sur les sources de l’antisémitisme de gauche, anticapitaliste et/ou anti-impérialiste
Etichette:
Antideutsche,
antisemitismo,
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